Je pourrais à nouveau écrire des pages et des pages sur le concept flou du “contact avec le local”, à la fois rêve et illusion des voyageurs idéalistes. Dans le cas de l’Australie, qui pourraient bien être ces fameux “locaux”? Blancs européens? Aborigènes? Dans ce dernier cas, même le contact le plus simple semblait difficile à établir. De Karratha à Broome, la plupart des aborigènes que je croisais étaient assemblés devant les centres commerciaux ou autres immeubles publics dans un état d’hébètement causé par l’alcool, la drogue ou, plus simplement, le manque d’un réel avenir. Pas de méchanceté ni de menace si ce n’est les effets d’ivresse habituels mais une distance, un malaise, qui feront qu’à mesure de mon avancée vers le nord du pays, là où leur présence est plus forte, je me demandais si j’allais éventuellement pouvoir franchir le pas. Les musées et centres culturels à l’entrée des pars nationaux sont certes informatifs mais absolument impersonnels, l’équivalent de lire un livre sur une population située à l’autre bout du monde. Il devait bien y avoir un autre moyen de parvenir à ce contact. C’est lors d’un arrêt improvisé, le long de la grande route du nord, quelque part entre Broome et Kununurra que tout changera, qu’un coup de pouce du Destin m’a offert ce que je cherchais et bien plus encore. Des princes pas comme les autres nous ont offert, à Tannith, moi, Ludovic et Anushka (un couple rencontré à Broome) trois jours merveilleux sur leurs terres.
L’objectif était de visiter un site sacré, des grottes connues sous le nom de Mimbi Caves. La communauté Gooniyandi y a une longue histoire et fait maintenant visiter ce lieu aux quelques touristes qui ne traversent pas la région à toute vitesse ou qui ne suivent pas la (trop) populaire Gibb River road, véritable autoroute pour véhicules tout-terrain qui passe plus au nord. La région fascine par son passé géologique en raison de la formation de ces grottes et falaises, vestiges d’un fond océanique, et les premiers habitants y trouvèrent un refuge pendant les nuits fraîches de l’hiver (saison sèche) et lors des pluies torrentielles de l’été. La visite est guidée par Ronnie, un immense bonhomme au teint foncé et aux traits légèrement asiatiques, héritage de son père malais. Immédiatement, on sent l’hospitalité du monsieur. Tannith n’avait pas acheté son ticket à l’office de tourisme la veille et préférait rester à nous attendre? Qu’à cela ne tienne, elle pourra se joindre au groupe si elle le désire. Ronnie ainsi que Delwyn, propriétaire légal des lieux, nous emmènent au cœur de ce dédale naturel et racontent toutes les légendes que nos esprits ébahis peuvent bien comprendre. La pause lunch sera à base de ‘damper’, ce délicieux pain cuit sur les cendres et du ‘billy tea’, le thé de la brousse. Ronnie sort sa guitare et entame quelques chansons en anglais pour ensuite, à la demande générale, nous offrir aussi la chance d’entendre sa langue maternelle en musique. C’est une journée bien remplie qui se termine devant la caverne des mères, là où les femmes enceintes venaient mettre au monde leur enfant. Le groupe se sépare, les autres touristes repartent satisfaits de leur aventure mais nous restons un peu avec Ronnie. Et c’est là que la magie se fait, sans même nous en rendre compte.
Après une bonne heure à discuter, Ronnie et Delwyn nous invitent à camper sur leurs terres pour la nuit. Devant la caverne sacrée, au pied des falaises, l’endroit est bien différent des haltes routières dont nous avons l’habitude. L’offre ne se refuse pas! Ronnie nous promet qu’il viendra nous chercher le lendemain pour nous faire visiter une autre grotte sacrée, une de celles qui n’est pas au programme des visites. Il reviendra ensuite nous voir plus tard dans la journée pour s’assurer que tout va bien, nous apportant de l’eau potable et d’immenses morceaux de viandes à griller sur le feu. Encore plus de chansons et encore plus d’histoires viendront terminer cette première journée surprenante.
La visite du lendemain sera riche en émotions. Cette fois-ci, ce sera beaucoup plus sport. Il faudra ramper dans des couloirs naturels exigus et braver les stalactites pointus pour finalement aboutir dans cette grande salle magnifique, décorée d’ailes d’anges, de nombreuses volutes naturelles et de tout ce que la nature peut faire de spectaculaire avec le passage des siècles. C’est l’endroit de discussion et de décision pour les membres de la communauté. et aussi là où ce déroule les cérémonies d’initiation. Ronnie demande à chacun de partager ses impressions, de faire part de ce que nous retenons de l’expérience. Je suis honnête: bien loin des ‘cousins’ aborigènes poussés en marge de la société qui hantent les rues des villes de province, la communauté de Ronnie et Delwyn est tout ce qu’il y a de plus charmant, de plus accueillant. On souhaite à ces premiers habitants de l’Australie de pouvoir un jour vivre de la sorte, de ce qu’ils ont, sans vendre leur patrimoine mais plutôt en le partageant. La communauté de Mimbi est minuscule, avec quelques baraques que ne paient pas de mine, une poignée d’adultes et une douzaine de gamins qui passeront leur journée avec nous. Mais ils ont le luxe d’être chez eux, d’avoir cette fierté et ce plaisir de pouvoir inviter qui voudra bien franchir le pas et sortir de la route balisée.
C’est aussi cette liberté d’être sur leurs terres qui leur permettra de nous faire découvrir encore bien des aventures. Si la chasse nocturne au kangourou en pleine nuit (avec pickup et un spot lumineux, évidemment) est plutôt de tradition moderne (et sanglante!), la préparation de la viande reste des plus simples. Cuite sur le feu, avec la queue enterrée sous les braises pour une cuisson lente jusqu’au matin. Les restes (ie. les tripes) de la bête seront aussi cuits sous la braise pour un ‘délice’ qui, à défaut d’être un franc succès auprès de nos palais occidentaux, aura tout le goût du ‘bush cooking’, de la cuisine du pays. Et si tout cela ne suffisait pas encore, nous aurons aussi droit à des boomerangs, des petits-déjeuners gargantuesques et même la possibilité pour Ludo de regarder le premier match de l’équipe de France en direct chez Ronnie, aux petites heures du matin. Cette avalanche de petites attentions et ces moments magiques passés ensemble nosu rendent certes quelque peu mal à l’aise tant nous ne pouvons rendre cette généreuse hospitalité mais tout se fait si naturellement qu’au moment de partir, on ne peut attendre de raconter cette aventure à qui voudra bien l’entendre et ainsi faire connaître à tous cette hospitalité aborigène légendaire. Nos amis étaient prêts à tout partager, de leurs traditions jusqu’à leur vie de tous les jours, un vrai trésor princier.
Il serait facile de tomber dans le cliché, de sortir les phrases maintes fois entendues quant à ces gens ‘simples’, qui vivent si ‘près de la nature’ et qui ont tout et rien à la fois. Tous ces clichés sont à la fois vrais et faux, selon le cas, et tant pis s’ils résonnent de tant d’autres écrits sur les expériences de voyageurs autour du monde. Pour une des rares fois au cours de ce voyage de deux ans, le contact avec le ‘local’ était franc, sincère, sans appréhension ni mercantilisme. Ces princes des terres australes nous ont offert une expérience unique et c’est tout ce que je peux souhaiter à quiconque décide de parcourir les milliers de kilomètres de la brousse australienne.
Merci à Tannith et Anushka pour certaines photos.
Magnifique article Richard !
Continue de bien t’éclater !!!
Stéph
By: Stéph TRIMOUL on July 22, 2010
at 3:13 pm